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Brexit : les implications de l'absence d'accord pour l'univers des investissements

Le risque d'une sortie de l'Union Européenne du Royaume-Uni sans avoir négocié les relations semble s'accroître ces dernières semaines. Nous envisageons ici les ramifications d'une telle issue pour l'économie britannique et les actifs libellés en livre sterling.

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Alors qu'il ne reste plus que 18 mois au Royaume-Uni pour négocier sa sortie de l'Union européenne et que peu d'avancées sont à constater dans l'accord à trouver entre les deux parties, les marchés financiers pourraient devoir sans tarder envisager un « Brexit à la dure ».

Michel Barnier, Responsable des négociations pour l'Union européenne, a déclaré le 11 octobre que les conditions du divorce du Royaume-Uni étaient « dans une impasse », les divergences restant importantes entre les deux camps après cinq tours de négociation, notamment sur ce qu'on appelle « la facture du Brexit.[1]

Pour le moment, les marchés n'ont guère envoyé de signaux d'alertes. En effet, la livre sterling comme les actifs libellés dans la monnaie anglaise sont demeurés imperméables au gel des négociations. Mais il semble peu probable que cela reste en l’état si l’impasse demeure.

Selon Stewart Robertson, économiste Sénior d'Aviva Investors au Royaume-Uni, ce serait en faire trop que d'imaginer une sortie au forceps et totalement chaotique du Royaume-Uni et il est probable que les deux parties finiront par trouver un accord d'une façon ou d'une autre. Il serait pourtant imprudent de l'exclure totalement, surtout si l’on considère les dégâts qu'un tel scénario entraînerait s'il devait se concrétiser.

Il est « dans l'intérêt des deux camps » de trouver un terrain d'entente. En tant que tel, nous pensons que le risque d'un retrait désordonné du Royaume-Uni est mince » déclare-t-il. « Mais même si le gouvernement britannique parvenait à un accord avec l'UE, il lui faudrait le faire approuver par le parlement. Pour y parvenir, il lui faudrait réussir à rallier les eurosceptiques ou un large pan de l'opposition, ce qui ne pourrait pas arriver simplement. »

L'option de l'OMC

Stewart Robertson rejette l'argument avancé par certains eurosceptiques d'une possible sortie pure et simple du Royaume-Uni et d'un retour aux règles de l'Organisation mondiale du Commerce sans conséquences économiques graves.

« Les échanges commerciaux pourraient se retrouver virtuellement paralysés. Les biens qui pouvaient être exportés de Grande-Bretagne la veille du 19 mars 2019 ne pourraient plus sortir du territoire le lendemain parce que la loi aurait changé » précise-t-il.

Même si les autorités des deux côtés de la Manche trouvaient des mesures d'urgence pour laisser le passage aux marchandises en transit, Stewart Robertson estime inévitable le fait que les échanges en pâtissent lourdement et, dans l'hypothèse extrême d'un arrêt total des mouvements pendant une courte période, que la croissance économique dans son ensemble puisse être impactée.

Il explique que si les prévisions de récession du Trésor britannique et d'autres organismes en amont du référendum de juin 2016 ne se sont pas réalisées c’est principalement dû à la baisse de la  livre sterling et aux mesures d'assouplissement supplémentaires menées par la Banque d'Angleterre.

La simple perspective du Brexit laisse déjà entrevoir des signes d'impact sur l'économie britannique. Après avoir occupé la deuxième place du podium des économies du G7 à l'essor le plus rapide au deuxième trimestre 2016, elle a chuté au dernier rang un an plus tard. Dans le même temps, la forte baisse de la livre sterling après le vote a eu un impact sur l’inflation du pays qui est aujourd'hui largement en tête des nations du G7, l'IPC (Indice des Prix à la Consommation ) ayant grimpé de trois pour cent en septembre.[2] 

Ça tilte pour les gilts

Stewart Robertson estime qu'en l'absence d'accord, la Banque d'Angleterre s'apprêterait à assouplir sa politique monétaire sans tenir compte de la hausse de l'inflation même si elle a relevé les taux d'intérêt le 2 novembre dernier pour la première fois en plus d'une décennie, de 0,25 % à 0,5 %.

Edward Hutchings, gérant senior d’obligations souveraines britanniques pour Aviva Investors, partage cette vision et estime que le danger d'un échec des négociations du Brexit est l'une des raisons qui incite les investisseurs à détenir des obligations d'État britanniques aujourd'hui.

« Au moment où la Banque d'Angleterre s'embarque dans un cycle de hausse non sans justification, on ne peut pas moins se demander si c'est la bonne chose à faire au vu de la fragilité de l'économie. En attaquant le premier trimestre 2018 sans plus de visibilité quant aux négociations du Brexit pour les entreprises, les flux d’investissement commenceront probablement à chuter lourdement » prévient-il.

Dans un tel cas, affirme-t-il, il est quasi certain que l'autorité monétaire inverserait tout mouvement de hausse qu'elle pourrait décider dans les prochains mois, voire repartirait sur la voie de l'assouplissement. Il précise que s'il est aujourd'hui trop tôt pour acheter des gilts en misant seulement sur l'issue possible des pourparlers du Brexit, les obligations indexées sur l'inflation pourraient largement bénéficier d'un retrait désordonné du Royaume-Uni de l'UE. « Vous auriez alors le meilleur des deux mondes : la chute des rendements conventionnels et la hausse de l'inflation. »

Cependant, il prévient que le marché des gilts fait face, lui aussi, à de nombreux risques qui dissuadent sans aucun doute certains acquéreurs pour le moment. Au premier rang figure la fragilité du gouvernement de Teresa May. Si elle devait partir, le leader des travaillistes, Jeremy Corbyn, accèderait au pouvoir, ce qui conduirait sans doute à un recul brutal des prix des gilts compte tenu de sa volonté d'engager le pays dans un programme massif de dépenses publiques.

Edward Hutchings annonce aussi que la probable dégringolade de la livre sterling, en cas de sortie désordonnée du Royaume-Uni de l'UE, freinerait les acheteurs étrangers qui représentent entre 25 et 30 pour cent du marché.

Ça décoiffe pour les compagnies aériennes et les banques

Trevor Green, responsable de la gestion actions britanniques au sein d'Aviva Investors, considère que sur sa catégorie d'actifs une sortie désordonnée de l'UE sans accord présenterait un risque matériel pour nombre d'entreprises, notamment les compagnies aériennes qui pourraient perdre le droit de desservir certaines destinations en Europe.

Le patron de Ryanair, la compagnie irlandaise à bas coût, a récemment indiqué que le Brexit mettait en péril les vols entre le RU et l'Europe. Michael O’Leary, le CEO de la compagnie, a ainsi déclaré que si la Grande-Bretagne est mise à la porte de l'UE, la « position légale officielle dans l'absolu est que les vols doivent cesser ». [3]

Son concurrent easyJet prévoit ainsi de créer une nouvelle compagnie aérienne basée à Vienne pour lui permettre de continuer d'opérer des vols au sein de l'UE après le Brexit. La société n'en reste pas moins confrontée à des incertitudes juridiques quant à savoir si elle pourra voler entre le Royaume-Uni et l'Europe et à quelles conditions. Par voie de conséquence, M. Green a sensiblement réduit l'exposition de son fonds aux actions d'easyJet cette année.

Les implications pourraient ne pas épargner les valeurs bancaires cotées au Royaume-Uni. Certains prêteurs britanniques risquent en effet de devoir absorber d'importants coûts de relocalisation d'une partie de leurs activités pour éviter de perdre les fameux passeports européens qui permettent aux entreprises financières basées dans l'UE de vendre leurs produits et services à travers les frontières. Par ailleurs, ce type d'activités est particulièrement sensible aux chocs économiques qui pourraient s'ensuivre.

Trevor Green a également liquidé des positions sur plusieurs distributeurs et acteurs du monde des loisirs depuis le début d'année, dans la crainte d'une nouvelle dépréciation de la livre sterling. Un fléchissement de la livre sterling comprimerait les marges bénéficiaires de ces entreprises puisqu'il entraînerait simultanément une hausse des prix à l'importation et conduirait à un pic d'inflation ayant pour conséquence d’étouffer  la consommation. Stewart Robertson estime que la livre sterling – qui a perdu presque 14 % entre le référendum du 23 juin 2016 et le 6 novembre 2017[4] – pourrait potentiellement céder 10 % supplémentaires en cas d'échec des négociations

Les conséquences ne s'arrêtent pas là : Trevor Green estime qu'une réduction massive du flux de travailleurs migrants constitue une menace sérieuse pour les modèles économiques d'un grand nombre de secteurs d'activité, depuis la construction jusqu'à la restauration rapide.

D'un autre côté selon lui, Il y a de nombreuses sociétés qui dégagent une partie significative de leurs résultats à l'étranger –  comme dans l'industrie pétrolière, minière, pharmaceutique et du tabac – et qui seraient bien placées pour profiter d'une baisse consolidée de la livre sterling. D'autres aussi pourraient tirer leur épingle du jeu pour la même raison, telles Unilever, fabricant de produits de consommation, et RELX Group, spécialiste des services d'information et outils d'analyse pour un éventail de groupes internationaux.

Livre sterling : un marché mondial du crédit

Au sujet de la dette privée, James Vokins, gérant obligataire multi-stratégies chez Aviva Investors déclare qu'il est important d'être conscient que le marché du crédit en livre sterling est l'un des plus internationaux qui soit, une bonne partie de la dette en circulation étant émise par des sociétés non britanniques. Au-delà de ses conséquences possibles sur la monnaie, l'issue des négociations du Brexit n'a guère d'implications pour la majeure partie de ces obligations.

Néanmoins, le Brexit pouvant impacter négativement  l'économie britannique, James Vokins précise que les investisseurs doivent analyser l'impact d'une crise sur les sociétés qui génèrent des résultats significatifs au RU.

Tout comme Trevor Green, il est prudent à l'égard des sociétés orientées sur le marché intérieur dans les secteurs du commerce de détail et de la banque qui tendent à avoir un profil cyclique étroitement lié à la performance de l'économie au sens large. Il reste également vigilant dans le domaine des investissements en dette des sociétés immobilières.

« Nous avons été témoins d'une quantité record d’émission de dettes d'entreprises en livre sterling cette année et environ la moitié des capitaux appelés sur marché étaient associés au marché immobilier, dont bon nombre sans garantie, il faut donc être très sélectif dans ce secteur » avertit-il.

Prudence sur les actifs immobiliers

Chris Urwin, responsable de la recherche immobilière pour Aviva Investors, déclare que le Brexit est une raison de plus de se montrer prudent à l'égard du marché immobilier britannique. Selon lui, si les récentes prévisions de la Banque d'Angleterre, tablant sur 75.000 postes en péril dans la City [5], sont peut-être trop sombres, il est probable que des emplois seront supprimés indépendamment de l'issue des négociations, ce qui est une raison suffisante de garder la tête froide à l'égard du marché de bureau dans le centre londonien.

 « C'est un marché très cyclique. Les prix sont déjà bien au-dessus de ce qu'ils étaient au plus haut du dernier cycle et l'offre grimpe au moment où l'incertitude sévit sur l'évolution de la demande » explique Chris Urwin qui ajoute que le commerce de détail est un autre secteur qui pourrait bien traverser une période difficile. Toutefois, l'immobilier commercial étant en partie protégé par les faibles rendements des investissements concurrents, Chris Urwin est plus favorable quant aux perspectives des segments de marché comme les bureaux en région et la logistique.

Barry Fowler, Directeur des solutions alternatives de rendement  d'Aviva Investors, précise qu'il faut être conscient que certains marchés d'actifs privés sont largement plus exposés que d'autres à la performance de l'économie au sens large.

« La majeure partie des investissements d'infrastructure sont plutôt robustes avec un faible niveau de probabilité de défaut de la plupart des transactions sur le marché de la dette. À titre d'exemple, beaucoup d'opérations d'infrastructure privées sont structurées en visant à protéger les investisseurs » selon lui.

Toutefois, M. Fowler concède que si le Brexit devait provoquer des perturbations économiques graves, les investisseurs devraient veiller à ce que les clauses des contrats soient bien respectées et à activer les voies de recours sans tarder si ce n’était pas le cas.

À l’instar de Chris Urwin, il déclare que les investissements immobiliers sont fragilisés par l'arrivée en fin de cycle du marché. Barry Fowler se préoccupe également de ce que pourrait signifier une crise économique pour les prêts à effet de levier, en indiquant qu'il serait « bien plus réservé » à l'égard de ce type d'activité de prêt.

Darryl Murphy, responsable de la dette d'infrastructure chez Aviva Investors, explique que s'il est probable que les investissements en infrastructure se maintiennent au RU, voire progressent en soutien de l'économie, un large éventail d'actifs pourrait là aussi subir des conséquences néfastes en cas de crise économique déclenchée par le Brexit. Il avertit sur le risque potentiel d’une suppression de l’accès aux financements intéressants de la Banque européenne d'investissement, ce qui menacerait nombre de projets. « Même si les capitaux privés disponibles pour combler cela ne manquent pas, le gouvernement doit, selon nous, anticiper et renforcer ses « outils de financement » pour compenser toute défaillance éventuelle du marché » déclare-t-il.

Pour l'instant, les investisseurs semblent partis pour considérer que même si les négociations entre le RU et l'UE semblent piétiner, c'est parce que les deux parties sont engagées sur la corde raide. Mais l’horizon de la sortie du Royaume-Uni en mars 2019 se rapproche et sans signe de progrès les parties vont devoir bientôt réagir davantage. Dans le cas contraire, les investisseurs devraient être sur leurs gardes.

[1] http://www.bbc.co.uk/news/uk-politics-41585430

[2] https://www.ons.gov.uk/economy/inflationandpriceindices

[3] https://www.theguardian.com/business/2017/aug/31/ryanair-may-brexit-deal-michael-oleary-uk-europe

[4] https://www.ecb.europa.eu/stats/policy_and_exchange_rates/euro_reference_exchange_rates/html/eurofxref-graph-gbp.en.html

[5] http://www.bbc.co.uk/news/business-41803604

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