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Incertitudes politiques en Espagne et en Italie : peu de risque de crise majeure

L'Europe vient de rentrer dans une nouvelle zone de turbulence après les changements de gouvernement en Italie et en Espagne. Toutefois, ni l'intégrité de la zone euro ni celle de l'UE ne devraient être sérieusement remises en question.

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Italian and Spanish flags

Durant la majeure partie de l'année, les craintes de risque politique chez les investisseurs se sont focalisées sur l'escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine et la surenchère entre Donald Trump et Kim Jong Un. Puis, en mai et en juin, l'Europe a de nouveau été au centre de toutes les attentions, les développements politiques dans deux États membres ayant fait craindre une remise en cause de la stabilité dans la zone euro.

En Italie, le parti anti-immigration et eurosceptique « Lega » (Ligue du Nord) et le mouvement anti-système 5 étoiles (M5S) ont formé une coalition le 31 mai dernier, mettant fin à près de trois mois d'impasse politique après des élections non décisives. Avec ses propositions de réduire les impôts, d'augmenter les dépenses sociales et de revoir les règles européennes en matière de budget et d'immigration, à supposer qu'elles soient adoptées, le nouveau gouvernement semblait tout droit se diriger vers un conflit ouvert avec Bruxelles.

Entre-temps, le 1er juin dernier, la destitution du premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, après une motion de censure du parlement, a marqué une première depuis la transition du pays vers la démocratie en 1975. Le parti socialiste de Pedro Sánchez, remplaçant de Rajoy, ne compte que 84 sièges sur les 350 du parlement. L'engagement du nouveau gouvernement à maintenir la stabilité budgétaire devrait valoir à Sánchez un accueil chaleureux de la part des représentants européens à Bruxelles. Néanmoins, ces nouvelles administrations semblent, en Italie, comme en Espagne, instables, de courte durée, et auront du mal à faire adopter leurs projets de loi.

La coalition italienne fait (déjà) volte-face

La coalition Ligue-M5S n'a pas tardé à comprendre les difficultés qu'elle aurait à tenir ses promesses de campagne. Le risque de confrontation entre Bruxelles et Rome sur la politique économique au lendemain de l'avènement de la coalition semble déjà s'estomper, le gouvernement revoyant à la baisse ses propositions budgétaires et renonçant à tout débat sur une possible sortie de l'euro.

L'administration « est parvenue à faire adopter au parlement, d'une courte majorité, la proposition de la Ligue d'un impôt forfaitaire à deux niveaux de 15 et 20%, mesure qui coûterait à elle seule aux alentours de 50 milliards d'euros », explique Geoffroy Lenoir, responsable de la gestion des taux souverains euro chez Aviva Investors.

Par ailleurs, la proposition du MS5 d'un revenu universel d'au moins 780 euros par mois pour les personnes de plus de 18 ans sans emploi et vivant sous le seuil de pauvreté, estimée à dix milliards d'euros chaque année si elle est adoptée, ne semble plus d'actualité.

D'après Ben May, directeur des recherches macroéconomiques mondiales chez Oxford Economics, avec l'équilibre des pouvoirs, la politique budgétaire ne devrait dériver que d'environ un pour cent du PIB et le rapport de la dette au PIB devrait poursuivre une trajectoire descendante à moyen terme.

« La probabilité que l'Italie sorte de la zone euro est aujourd'hui de seulement 2%, le pays et le reste de la zone souhaitant éviter ce scénario », ajoute Ben May.

La Ligue comme le M5S ont souhaité nommer Paolo Savona, farouche opposant au pacte de stabilité et de croissance et à l'euro, ministre des finances, proposition à laquelle le Président Sergio Mattarella a opposé un refus catégorique. Le nouveau ministre des finances, Giovanni Tria, tient à ce que l'Italie conserve la monnaie unique.

D'après le dernier Eurobaromètre standard, sondage d'opinion publique réalisé par la Commission européenne, en mars dernier, 61% des Italiens (contre 76% en Espagne) se disaient favorables au maintien dans l'euro, précise Geoffroy Lenoir1.

Tandis que les eurosceptiques pointent du doigt l'euro et affirment que l'Italie serait en bien meilleure posture si elle avait conservé la lire, « l'incapacité de l'Italie de voter les mesures structurelles adoptées par Madrid explique en grande partie les mauvais résultats économiques », soutient Geoffroy Lenoir.   

Crise migratoire

Autre sujet de possibles crispations entre l'Italie et l'UE : l'immigration. Lega et MS5 souhaitent réformer le règlement Dublin en vertu duquel les migrants ne peuvent demander l'asile politique que dans le pays où ils ont premièrement fait leur entrée dans l'UE. La coalition invoque la proximité de l'Italie avec l'Afrique du Nord pour dénoncer le poids trop lourd de la crise migratoire supporté par le pays.

Un argument qui devrait faire mouche auprès de certains États membres souhaitant réformer les politiques européennes en matière d'immigration. Les sondages montrent que l'immigration se place en tête des inquiétudes des électeurs européens.  En France, comme en Allemagne, en Autriche, en Italie et en Hongrie, la crise des migrants s'est invitée dans les campagnes électorales, menaçant même l'indéfectible chancelière allemande, Angela Merkel2. Le nouveau gouvernement semble avoir atteint certains de ses objectifs en réformant la politique migratoire de Bruxelles lors du sommet européen en juin dernier3.

Un passage éclair

Si la coalition italienne peut avoir gain de cause sur la question de l'immigration, elle ne devrait pas se maintenir durablement au pouvoir, comme l'explique Geoffroy Lenoir.

« Lega et M5S étaient rivaux pendant la campagne électorale. Les interminables tractations ayant précédé la formation de leur gouvernement confirment l'étendue de leurs différences et la méfiance entre les deux camps », poursuit-il. « De plus, le nouveau premier ministre, Giuseppe Conte, n'a jamais exercé de mandat politique. La nomination de ses ministres révèle des tensions au sein de la coalition sur la question de l'euro, l'eurosceptique Savona étant désormais chargé des relations avec Bruxelles, tandis que d'autres ministres clés souhaitent rester dans la monnaie unique ».

D'après Peter Ceretti, analyste chez Economist Intelligence Unit, le maintien du gouvernement jusqu'en 2020 serait une prouesse en soi, des élections surprise dès le premier semestre 2019 n'étant pas impossibles.

« Outre les contraintes budgétaires, juridiques et européennes, la coalition peut se heurter à l'opposition du Président Mattarella », explique-t-il. « Il serait très inhabituel que le président bloque l'adoption des lois et le gouvernement ne devrait pas chercher la confrontation directe avec le président, après l'échec de la nomination de Paolo Savona au ministère de l'économie. Les tensions entre le gouvernement et Mattarella sur le cas Savona suggèrent en outre que le président, s'il y est contraint, n'hésitera pas à user de tout son pouvoir pour protéger la constitution ».

« Le M5S et la Ligue disposent par ailleurs d'une très courte majorité au sénat (chambre haute du parlement), avec le risque que défections et irrégularités, toutes deux courantes chez les partis politiques italiens, précipitent la paralysie », ajoute-il.

Peter Ceretti estime néanmoins que la confrontation avec les partenaires européens ou l'impossibilité de tenir les promesses électorales ne devraient pas entamer la popularité dont jouit la Ligue ou le M5S.

« Les électeurs italiens ne s'attendent pas à ce que les promesses de campagne soient intégralement tenues, et les deux partis pourraient logiquement tenir l'UE et l'architecture institutionnelle du pays responsables de leurs piètres avancées », conclut-il.

Le Royaume d'Espagne à peine ébranlé

« En attendant, le changement de gouvernement en Espagne ne devrait pas inquiéter l'UE ou les investisseurs », affirme Julien Rolland, gérant taux souverains chez Aviva Investors.

« L'ensemble des grands partis politiques en Espagne, socialistes inclus, sont pro-européens, tandis que Sánchez s'est engagé à poursuivre une politique économique prudente. En effet, le nouveau gouvernement est résolu à mettre en œuvre le budget de l'administration précédente », explique-t-il.

La position précaire des socialistes au parlement bloque en outre tout changement de politique.

La gestion de la crise catalane sera probablement décisive pour Sánchez particulièrement attendu sur son aptitude à diriger le pays, d'après Ángel Talavera, économiste en chef pour la zone euro chez Oxford Economics.

« Le gouvernement catalan fraîchement nommé, emmené par un fervent partisan de l'indépendance, Quim Torra, sera tenté d'éprouver Sánchez dès le début de son mandat. La réponse de M. Sánchez scellera dans une large mesure son avenir politique », avance Talavera.

D'après Julien Rolland, de nouvelles élections devraient se tenir l'année prochaine, Sánchez ayant promis lors de son investiture d'organiser des élections avant la fin du mandat du parlement en juillet 2020. La tenue de ces élections enverrait, selon lui, un signal positif aux marchés.

« D'après les derniers sondages, une coalition centre-droite entre les Ciudadanos et le PP, tous deux pro-européens convaincus, semble l'issue la plus probable. Pour autant, une forte démonstration des socialistes, également europhiles, serait très bien accueillie par les investisseurs », constate-t-il.

Sánchez devra s'atteler, l'année prochaine, à occuper le terrain dans les régions du centre, là où se jouent traditionnellement l'issue des scrutins en Espagne, tout en proposant un programme social progressiste qui neutralise le parti d'extrême gauche Podemos. En outre, des négociations ouvertes sur une réforme du cadre territorial du pays devraient être au centre des attentions, dans l'optique de désamorcer, si ce n'est résoudre, la crise catalane.

« Pour réussir, Sánchez devra surmonter les réserves tenaces sur sa capacité à diriger au sein même de son propre parti, gagner à sa cause des médias hostiles (plus favorables à l'égard d'Albert Rivera, dirigeant des Ciudadanos) et trouver un certain équilibre dans ses négociations avec à la fois le parti Podemos et les partis économiques nationalistes catalans sans perdre l'électorat majoritairement favorable à l'unité du pays », énumère Ángel Talavera.

L'économie, le nerf de la guerre

Dans un contexte d'amélioration rapide, le risque politique en Espagne semble s'estomper, bien que les relations entre Madrid et la Catalogne risquent de demeurer tendues. En Italie, le renversement du système politique s'annonce moins dangereux pour l'UE que prévu, du moins à court terme.

Néanmoins, à plus long terme, sans aucun signe d'amélioration économique en Italie, les électeurs pourraient être de plus en plus tentés par une éventuelle sortie de la zone euro. Ils pourraient également se tourner vers des parties plus extrémistes si ceux-ci leur semblent les seuls à pouvoir contester le statu quo.

Références

1 ‘Euro remains popular in Italy’, », Eurobaromètre standard de la Commission européenne, mars 2018

2 ‘EU migrant summit’, », BBC News, 29 juin 2018

3 ‘EU’s migration crisis’, », Reuters, 24 juin 2018

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