Alors que la Chine sort progressivement de sa période de confinement, les investisseurs exposés aux actions et à la dette des marchés émergents essaient d’évaluer l’impact de la pandémie de coronavirus sur son économie, mais aussi sur les autres segments des marchés émergents.
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The photographs were like scenes from a disaster movie: traffic-free motorways, shuttered shopping centres, neon signs blinking over deserted city squares. The spectacle of China in lockdown shocked the world and gave an indication of things to come in the early stages of the COVID-19 pandemic.
La Chine sort tout juste de sa quarantaine mais les autres pays imposent toujours des mesures de confinement très strictes pour limiter la propagation du virus. La stratégie que la Chine va désormais utiliser pour gérer cette crise devrait intéresser les responsables politiques et les professionnels de santé des autres pays, qui s’inquiètent du risque de nouvelles infections en raison de l’assouplissement des mesures de confinement et des personnes qui commencent à sortir de chez elles. Les investisseurs eux aussi surveillent attentivement la situation en Chine. La vitesse de sa reprise économique aura en effet des conséquences importantes sur le reste du monde, en particulier sur les autres marchés émergents.
La stratégie que la Chine va désormais utiliser pour gérer cette crise devrait intéresser les responsables politiques et les professionnels de santé des autres pays
Un arrêt brutal
Les chiffres officiels contrastent clairement avec l’ampleur de l'effondrement de l’activité économique chinoise pendant la période de quarantaine en janvier et en février. Les secteurs à forte intensité en main d'œuvre avec de longues chaînes d'approvisionnement ont été fortement pénalisés, en particulier les loisirs et les voyages.
Selon la société de conseil China Beige Book, estime la baisse du PIB à -11 % en variation trimestrielle. Selon David Nowakowski, stratégiste multi-actifs et macroéconomie chez Aviva Investors, la production trimestrielle pourrait avoir baissé encore plus (-12 % au minimum).
La réaction relativement rapide et efficace du gouvernement face au coronavirus a toutefois ramené le calme sur le marché intérieur. Depuis le début 2020, les actions chinoises sont moins volatiles que les actions mondiales. « Alors que le pays a été l’épicentre de l’épidémie, les actions chinoises ont fait preuve d’une belle résistance », explique Alistair Way, responsable des actions des marchés émergents chez Aviva Investors. « A l’image de certains secteurs traditionnellement défensifs comme la consommation non-cyclique, la pharmacie et les services aux collectivités, la technologie et l'Internet ont relativement bien résisté. Cette tendance reflète l'essor des jeux et du commerce électronique, mais aussi de probables investissements massifs dans les infrastructures technologiques pour répondre à l'augmentation du nombre de personnes travaillant depuis leur domicile à l’échelle mondiale ».
Les emprunts d'État chinois ont été recherchés par certains investisseurs obligataires en raison de la stabilité du renminbi et de l'anticipation d’une politique d'assouplissement monétaire « lente mais régulière » de la Banque populaire de Chine pour contribuer à la reprise.
Alors que le pays a été l’épicentre de l’épidémie, les actions chinoises ont fait preuve d’une belle résistance
La grosse artillerie budgétaire ?
Selon les données provisoires, l’activité manufacturière a commencé à se redresser en Chine. L’indice des directeurs d'achats (PMI) du secteur manufacturier publié le 31 mars a témoigné d’une embellie inattendue en repassant au-dessus du seuil de 50, limite entre contraction et expansion, au cours du mois, après une chute record en février. Toutefois, les indices PMI ne reflètent qu’une trajectoire et non une mesure absolue, et plusieurs rapports crédibles tendent à indiquer que certains responsables de Provinces ont obligé les entreprises à enjoliver leurs statistiques pour donner l'impression d'une reprise plus soutenue.[ii]
À mesure que la population sort de son confinement, la consommation chinoise semble également rebondir, à un rythme toutefois assez lent.
Cependant, très peu d’analystes s’attendent à une reprise en trombe de l’économie chinoise avant encore quelque temps. Une baisse de la demande mondiale pèsera sur les exportations au cours des prochains mois. Les mesures budgétaires pourraient être moins efficaces que la réponse apportée à la crise financière de 2008, lorsque les dépenses gigantesques des autorités dédiées aux routes, aux chemins de fer et à d’autres projets d'infrastructure avaient relancé l’économie chinoise et soutenu les exportateurs de matières premières dans le monde entier.
Maintenant que la composition de l'économie chinoise a changé, le gouvernement va probablement orienter les mesures de relance vers des secteurs moins gourmands en matériaux, tels que les centres de données, la santé et les télécommunications, selon l'Institut de la finance internationale (IIF), une association professionnelle. Sa marge de manœuvre budgétaire globale est moins importante qu’en 2008, lorsque 590 milliards de dollars avaient été injectés dans l’économie (soit 13 % du PIB de l’époque). Depuis, l’essentiel de la croissance chinoise a été alimentée par la dette.
Accroître sensiblement la dette publique via des mesures de relance massives pourrait limiter la capacité de la Banque centrale chinoise à assouplir encore sa politique monétaire. Selon le professeur Michael Pettis, si une relance budgétaire substantielle est probable - certainement via les emprunteurs aux niveaux des provinces - toute tentative visant à maintenir un taux de croissance supérieur à 5 % nécessiterait une augmentation gigantesque de l'endettement, qui pourrait gravement affecter le système monétaire du pays.
David Nowakowski est moins préoccupé par le niveau de la dette publique que par l'augmentation de l'endettement des entreprises et des ménages, qui pourrait freiner l'activité lorsque le pays sortira de la pandémie. Tout dépend si la Chine a éradiqué le COVID-19 ou si elle a simplement ralenti sa propagation.
Fuite de capitaux
Au-delà de la Chine, les répercussions potentielles de la pandémie sur l’économie ont fait paniquer les investisseurs exposés aux autres marchés émergents. Selon les données de HAVER et de l’IIF, les investisseurs étrangers ont retiré 83 milliards de dollars des marchés obligataires et actions des pays émergents entre le 21 janvier et le 23 mars.
Cette fuite de capitaux est due à la vigueur relative du dollar mais aussi aux craintes concernant l’impact de la crise et de l’effondrement de la demande en exportations en découlant, sur les économies émergentes. La décision de l'Arabie saoudite d’accroître sa production de pétrole a fait chuter le prix du brut après l'échec des négociations avec la Russie le 6 mars dernier, ce qui a aggravé l'impact de la baisse de la demande liée au coronavirus sur les producteurs de pétrole.
Les banques centrales ont réagi de manière rapide et nombre d’entre elles ont abaissé leurs taux d’intérêt malgré la dépréciation de leurs devises. Cette démarche est inhabituelle dans la mesure où historiquement, en cas de tensions financières, les banques centrales des pays émergents mettent en place des politiques pro-cycliques pour stabiliser leurs devises.
Les banques centrales ont réagi de manière rapide et nombre d’entre elles ont abaissé leurs taux d’intérêt malgré la dépréciation de leurs devises
Les forces et les faiblesses des marchés émergents
La crise a déjà mis en évidence les divergences existantes entre les pays émergents les plus résistants et les plus fragiles, en mettant à l'épreuve leurs systèmes de gouvernance et la résilience de leur économie. La Corée du Sud, par exemple, a été le premier pays au monde à tester le coronavirus et est aujourd’hui considérée comme un modèle par de nombreux pays occidentaux. L’exécutif brésilien, en revanche, a attiré de nombreuses critiques en mettant en doute la gravité de la pandémie malgré les hauts responsables du gouvernement infectés par le virus
Les conséquences économiques seront très variables. Les économies d'Asie du Nord, ainsi que l'Inde, devraient bénéficier de la baisse des prix des produits énergétiques, alors que les exportateurs de matières premières latino-américains semblent plus exposés. Le Mexique, par exemple, pourrait être fragilisé par le faible niveau des matières premières et le Brésil serait particulièrement vulnérable, non seulement parce que son gouvernement a complètement loupé sa réponse à la pandémie, mais aussi en raison de ses liens commerciaux accrus avec la Chine.
Parmi les autres producteurs de pétrole, les économies d'Asie centrale comme la Russie et le Kazakhstan seront affectées par la baisse du prix du brut, mais leurs engagements avec l’extérieur sont assez faibles et la flexibilité de leurs politiques devrait leur permettre de résister à la tempête. Les producteurs de pétrole dont la balance courante est plus fragile et dont les échéances de remboursement de la dette sont imminentes seront probablement les plus touchés : l'Équateur, par exemple, a déjà demandé un délai de grâce de 30 jours pour essayer d’assurer le paiement d'intérêts à ses créanciers.
En réponse, le Fonds monétaire international a annoncé une facilité de prêt de 1 000 milliards de dollars pour les pays pénalisés par le COVID-19, tandis que la Banque mondiale prévoit de dépenser 160 milliards de dollars au cours des 15 prochains mois, en grande partie pour soutenir les budgets nationaux et financer des projets d’aide destinés à la modernisation des infrastructures sanitaires pour lutter contre le virus.
La crise a déjà mis en évidence les divergences existantes entre les pays émergents les plus résistants et les plus fragiles, en mettant à l'épreuve leurs systèmes de gouvernance et la résilience de leur économie
Le monde post-COVID-19
En ce qui concerne l'impact sur les entreprises des pays émergents, les investisseurs devront faire preuve de prudence, estime Alistair Way, au fur et à mesure que l'impact du COVID-19 sur les bénéfices va se faire sentir. Les entreprises dont les bilans sont fragilisés auront du mal à survivre sur une longue période à la baisse de la demande pour leurs produits ou services. Certaines pourraient être contraintes par les autorités politiques de consacrer leurs ressources à des initiatives gouvernementales pour lutter contre la pandémie.
À plus long terme, les investisseurs présents sur les marchés émergents devront se demander à quoi le monde va ressembler une fois que la menace COVID-19 aura disparu. Des entreprises et des industries prospéreront, d'autres non. Les entreprises impliquées dans les paiements dématérialisés, la communication et les réseaux pourraient en sortir renforcées, par exemple, tandis que celles liées aux voyages et au transport aérien pourraient subir des dommages durables.
Les banques centrales ont réagi de manière rapide et nombre d’entre elles ont abaissé leurs taux d’intérêt malgré la dépréciation de leurs devises
Pour l'instant, cependant, la lutte contre la pandémie reste la priorité. Tant qu'un remède contre le virus n'aura pas été trouvé, les perspectives des marchés émergents et du reste du monde demeurent incertaines. La Chine est au centre de cette histoire : sa capacité ou son incapacité à lutter contre une éventuelle nouvelle épidémie tout en maintenant sa production économique aura des répercussions bien au-delà de ses frontières.