Pour Euan Munro, même si la pandémie de COVID-19 est un épisode inédit pour les marchés financiers, l’histoire demeure riche d’enseignements précieux pour les investisseurs qui cherchent à comprendre la crise.
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Quand on travaille dans la finance depuis plusieurs dizaines d’années, il est parfois difficile de ne pas se dire que l’on a déjà tout vu et tout entendu. Les gérants de fonds ont tout intérêt à savoir que l’histoire a tendance à se répéter, en particulier quand ils cherchent à identifier les signes avant-coureurs d’une crise pour prendre les mesures nécessaires et protéger les portefeuilles de leurs clients.
En amont de la crise financière mondiale, je n'étais pas le seul à m’être inquiété du prix des niveaux de valorisation du crédit corporate et de l’explosion probable du crédit structuré, et ce bien avant l’éclatement de la bulle fin 2007. Loin d’être un cygne noir surgi de nulle part, certains facteurs permettaient de prévoir que le crédit serait au cœur de la prochaine crise, ce qui a bien été le cas.
Si je reviens sur d’autres phases de turbulences auxquelles j’ai assisté au cours de ma carrière, il y a toujours eu des signes d’inquiétude au préalable : la bulle Internet était un accident qui n’attendait qu’à se produire, car les capitaux affluaient aveuglément sur des entreprises n’ayant aucun historique de performance ou modèle économique viable ; et à la fin des années 90, la dépendance excessive des entreprises et des gouvernements asiatiques envers les financements étrangers était une source de fragilité structurelle qui a très vite plongé la région dans la crise.
La pandémie de COVID-19 ne ressemble pas aux crises que nous avons connues jusqu’alors
Lorsque vous identifiez les principaux risques, vous êtes en mesure de faire face à la crise dans une position plus solide, même si elle n’épargnera que peu de monde. Toutefois, la pandémie de COVID-19 ne ressemble pas aux crises que nous avons connues jusqu’alors. Nous ne l’avions pas prévue ; je ne me souviens pas du tout avoir lu les moindres articles ou recherches avant 2020 annonçant une pandémie mondiale qui causerait de sévères restrictions de déplacement et la quasi-paralysie de l’activité économique dans un grand nombre d'industries.
Toutes les crises financières ont un bilan humain. Ce qui rend unique la crise actuelle est que sa dimension première est humaine et que celle-ci a ensuite causé un grave choc économique et financier, plutôt que l’inverse. Elle est également unique au sens où, indépendamment du secteur dans lequel nous travaillons, chacun de nous doit traverser cette période tout en se faisant du souci pour la santé de ses proches et pour la sienne. Beaucoup d’entre nous prennent également la responsabilité de venir en aide aux membres les plus fragilisés de nos populations.
La protection des actifs de nos clients est notre priorité absolue
Dans les périodes comme celle que nous traversons, les fluctuations des marchés financiers peuvent sembler anecdotiques. Mais lorsque l’on gère l’argent des autres, c’est aussi dans ces moments qu’il faut déployer encore plus d’efforts pour nous assurer que nos processus d'investissement sont robustes, et que nos décisions reposent sur une analyse rigoureuse des risques que nous rencontrons. À très court terme, la protection des actifs de nos clients est notre priorité absolue : que nous ayons prévu ou non cette crise, la préservation du capital est une question de modèles, et pas de chance. C’est parce que l’une des fonctions primordiales d’un gestionnaire d’actifs est de construire des portefeuilles adaptés à de nombreuses configurations possibles, même celles qui ne se concrétiseront jamais.
Pendant les périodes fastes, les stratégies qui anticipent les scénarios du pire peuvent sembler inutiles, et, pour certains, « sur-élaborées ». Mais dans les événements comme la crise financière mondiale ou la pandémie de COVID-19, nos efforts pour concevoir des portefeuilles aussi résistants que possible portent leurs fruits, notamment quand les inconnues sont si nombreuses. Par exemple, nous ne pouvons pas prédire exactement quand la pandémie sera contenue, encore moins quand elle diminuera ou quand les mesures de confinement seront levées. Tant que les risques sanitaires n’auront pas baissé considérablement, tout exercice pour évaluer l’efficacité des politiques des gouvernements pour soutenir les économies et des banques centrales pour stabiliser les marchés financiers ne sera que pure conjecture.
Fin mars, j’ai été assez surpris de lire les prévisions confiantes de professionnels de l'investissement chevronnés, qui annonçaient le creux du marché baissier. Encore une fois, les estimations concernant la gravité ou la durée d'une crise ne peuvent en aucun cas être prévues et je n’encourage pas mes équipes à y passer du temps. En revanche, je les incite à se projeter au-delà de l’incertitude à court terme et à identifier des opportunités à long terme sur des marchés qui, en ces temps de crise, attribuent aux actifs des valorisations erronées.
La cause première de la crise actuelle est peut-être différente de celles que nous avons connues par le passé, mais je peux affirmer avec un degré de confiance raisonnable que les dislocations des prix des actifs provoquées par des peurs, et non par des raisons liées aux fondamentaux, sont similaires. Et elles créeront des opportunités.
Nous savons que des mesures de soutien monétaire et budgétaire exceptionnelles vont être déployées partout dans le monde, dans des proportions peut-être beaucoup plus importantes que pendant la crise financière mondiale et la crise de la dette souveraine en Europe. Certains changements structurels à l’œuvre dans différents secteurs pourraient s’accélérer. Cette crise pourrait aussi créer un tournant pour la composante « S » de l’ESG, investisseurs et gouvernements exerçant une plus grande pression sur les entreprises pour qu’elles prennent au sérieux leurs responsabilités sociales.
Nous devons prendre de bonnes décisions pour distinguer les modèles économiques durables des modèles vulnérables
Il est également probable que les investisseurs procèdent à une réévaluation du risque : au niveau des entreprises, nous devons prendre de bonnes décisions pour distinguer les modèles économiques durables ou vulnérables, et de la même façon, au niveau macroéconomique, il nous faut identifier les économies qui seront les plus résilientes au lendemain de la crise, afin de faire des choix d’allocation d'actifs appropriés concernant les taux et les devises.
Ces choix auront de l’importance pour notre performance au cours des deux à trois prochaines années. Tout comme la préservation du capital n’est pas une question de chance, mais de modèles, la façon dont nous sortirons de cette crise ne sera pas non plus une question de chance, mais de compétence et d’analyse, qui nous permettrons d’identifier les principales inefficiences et de positionner nos portefeuilles en conséquence. Les jours et les semaines qui viennent seront difficiles, mais ils passeront. Quand ce moment arrivera, nous devrons être prêts pour toutes les éventualités.