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Dette émergente : l’art de savoir faire la part des choses

Liam Spillane et Aaron Grehan expliquent les raisons pour lesquelles il reste possible de trouver des opportunités d’investissement sur la dette émergente, malgré les perspectives de hausse du taux de défaut et de baisse du taux de recouvrement.

EMD: The art of differentiation

À l’image des autres actifs risqués, la dette des marchés émergents n’a pas été épargnée par les effets destructeurs du COVID-19 sur les différentes économies et marchés financiers. Les prévisions d’une hausse des défauts sont au cœur des préoccupations ; l’Argentine et le Liban sont déjà en défaut de paiement sur leur dette souveraine, et Moody’s a averti que près de 14 % des obligations émises par les entreprises des marchés émergents de catégorie spéculative pourraient ne pas être remboursées dans les 12 mois à venir.

Cependant, comme toujours avec la dette émergente, la réalité est plus nuancée. Cette classe d’actifs a généré des plus-values impressionnantes sur le long terme et peut encore améliorer les performances d’un portefeuille à une période où les autres marchés affichent des rendements faibles. L’essentiel est de savoir où chercher et de réussir à construire des portefeuilles capables de résister à une multiplicité de situations.

L’essentiel est de savoir où chercher et de réussir à construire des portefeuilles capables de résister à une multiplicité de situations.

Dans cet entretien, Liam Spillane (LS) et Aaron Grehan (AG), respectivement directeur et directeur adjoint de la dette émergente chez Aviva Investors, partagent leur vision des risques et des opportunités dans l’univers de la dette émergente.

Le mois de mars a été une période agitée pour toutes les classes d’actifs. A-t-on dépassé le pic de volatilité pour la dette émergente ?

LS : Bien qu’il soit peu probable que les conditions extrêmes du mois de mars se répètent, on observera des pics de volatilité liés à l’actualité à mesure que la situation évoluera. La volatilité peut s’exprimer de différentes manières, ce qui souligne l’importance de faire la part des choses dans l’univers de la dette émergente. Il pourrait y avoir des poches de volatilité localisées dans certains pays ou groupes de pays.  

A-t-on jamais vu un tel contraste entre le meilleur et le pire des scénarios possibles pour la dette émergente ?

AG : La différence entre les deux scénarios n’a jamais été aussi grande, et ce pour tous les marchés, ce qui génère des prévisions de rendement très disparates. De toute ma carrière, les perspectives sur la dette émergente n’auront jamais fait l’objet d’autant d’incertitude. 

Au niveau des portefeuilles, quelles ont été les principales décisions que vous ayez prises pour faire face à cette situation ?

AG : Nous avons procédé à des ajustements assez importants en devises fortes, en fonction des perspectives propres aux différents pays, de la gravité avec laquelle ils ont été touchés et de la solidité de leurs indicateurs de crédit au début de la crise. Dans la catégorie du haut rendement, nous avons classé les pays comme suit : les moins vulnérables, à risque, présentant un risque modéré et ceux en défaut, ou susceptibles de l’être de manière imminente.

Le marché a rapidement réévalué les valorisations des pays les moins vulnérables et des pays en défaut de paiement, mais les pays présentant un risque modéré pourraient voir leurs cotes évoluer dans un sens ou dans l’autre. Les changements les plus importants ont concerné nos positions dans la catégorie des pays à risque : nous avons réduit notre exposition aux pays qui, selon nous, présentent des risques importants en matière de liquidité et de solvabilité. Concrètement, nous avons ajusté les portefeuilles là où il existe un risque d’incident de crédit dans les mois à venir. 

Concernant les mesures politiques mises en œuvre, quels sont les pays qui vous semblent avoir une réaction appropriée et ceux où elle vous paraît inadaptée ?

LS : En ce qui concerne les devises locales, des pays comme la Russie et le Pérou ont depuis longtemps la faveur des investisseurs. Cela s’explique en partie par le fait qu’ils disposent de nombreux outils de pilotage et de réserves de change, ainsi que de fondamentaux raisonnablement solides qui devraient leur permettre de mieux gérer cette crise que d’autres pays.

AG : Chaque pays a eu tendance à adopter un comportement fidèle à ses habitudes. Les réponses apportées n’ont pas été concluantes dans les pays où la politique ou la gouvernance ont toujours laissé à désirer. Les pays qui, traditionnellement, adoptent une politique efficace et appliquent une gestion financière saine sont plus à même de procéder à des ajustements constructifs et de mieux surmonter la crise. L’Ukraine a fait des réformes. La Côte d’Ivoire et le Kenya ont été relativement rapides à ajuster leurs dépenses budgétaires et à fournir des chiffres et des projections financières pour que les investisseurs puissent les utiliser dans leurs analyses. Ce n’est pas une tâche facile. 

Chaque pays a eu tendance à adopter un comportement fidèle à ses habitudes.

En quoi l’implication des organisations internationales influence-t-elle vos perspectives ? 

AG : Ces dernières années, le FMI a joué un rôle de plus en plus important sur les marchés des devises fortes et les marchés frontières, et ce rôle est appelé à se développer grâce à différents mécanismes. De nombreux pays recherchent du financement à court terme, assorti de conditions minimales, ce qui est propice à la mise en place de programmes plus étendus. L’Afrique du Sud cherche à obtenir un soutien financier par le biais du Mécanisme de financement rapide du FMI. Ce pourrait être le début d’une relation plus étroite et plus constructive avec le FMI. 

Nous avons déjà constaté quelques défauts. Quelles sont vos prévisions en la matière ?

AG : Les taux de défaut seront élevés, peut-être les plus élevés de l’histoire. Des incidents de crédit sont d’ailleurs déjà en cours au Liban et en Argentine. Et à moins que les conditions ne reviennent rapidement à la normale, d’autres pays dont les indicateurs de crédit sont fragiles devraient les rejoindre. Le Pakistan a déjà été autorisé à interrompre ses paiements et il semble que le Sri Lanka présente un risque important.

Le rôle des investisseurs privés est complexe. Compte tenu des contraintes juridiques, il est difficile d’imaginer une approche globale ou collective qui puisse refléter les intérêts économiques individuels. L’expérience montre que des arrangements sur mesure, pays par pays, sont plus probables, même si les besoins financiers actuels pourraient être satisfaits collectivement. La nécessité de simplement suspendre les paiements ou de procéder à une restructuration de la dette dépendra d’une analyse plus complète de sa soutenabilité. 

Les investisseurs privés pourraient-ils devenir plus incisifs ou plus activistes dans le cadre des négociations de restructuration ?

AG : Les gérants de fonds ont une obligation fiduciaire envers leurs propres clients et doivent se montrer exigeants dans de telles situations, mais ils doivent également tenir compte des difficultés rencontrées par les émetteurs. Il est important de trouver un terrain d’entente, où aucune des parties n’est trop sévèrement pénalisée. Il faut permettre aux économies d’être pérennes, mais les pays sont également tenus de respecter leurs obligations contractuelles au mieux de leurs capacités.

LS : La crise sanitaire donne un nouvel éclairage à ce débat. Les pays se doivent de veiller sur leur population lorsqu’ils émettent de nouvelles dettes ou engagent des restructurations pour financer des mesures de relance. Cela pourrait conduire à mettre en concurrence les objectifs sociaux et les objectifs économiques, pour des ressources financières qui sont limitées. Si les populations ont l’impression que les gouvernements se plient aux exigences des investisseurs internationaux au détriment de leurs besoins, comme les soins de santé par exemple, les risques de troubles augmentent. Les investisseurs devront devenir des partenaires sociaux aussi bien que financiers. 

Qu’en est-il de la situation des entreprises des marchés émergents ? Elles étaient en assez bonne santé lorsque la crise a éclaté.

Les perspectives des quasi-souverains dépendront de la capacité et de la volonté des gouvernements à apporter leur aide en période de difficulté.

AG : Les perspectives de défaut des emprunteurs souverains des marchés émergents sont plus élevées que celles de leurs homologues des marchés développés, mais ce n’est pas le cas pour les entreprises. Pour la plupart, les entreprises des marchés émergents ont de meilleurs fondamentaux que leurs consœurs étrangères et devraient connaître un taux de défaut plus faible.

Les perspectives des quasi-souverains dépendront de la capacité et de la volonté des gouvernements à apporter leur aide en période de difficulté. A titre d’exemple, Pemex est dans une spirale négative depuis plus de dix ans, mais étant donné sa taille et son importance stratégique pour l’emploi, les recettes fiscales et l’approvisionnement en énergie du pays, l’État mexicain devrait lui apporter son soutien.

L’influence de la Chine a-t-elle évolué pendant la crise et quelles sont les perspectives globales pour le pays et sa zone d’influence ?

LS : Il y a dix ou vingt ans, les marchés développés étaient les principaux moteurs de croissance des marchés émergents. C’est aujourd’hui la Chine qui occupe ce rôle. Toutefois, cette année, la croissance annuelle ne devrait pas atteindre les niveaux de 5 à 6 % auxquels nous sommes habitués, mais plutôt 2 ou 3 %. Cela ne sera pas sans conséquence.

Les prêts accordés par la Chine représentent une part importante de l’encours global de la dette de l’Afrique subsaharienne en devises fortes, environ 30 à 40 % dans certains cas. Il est difficile de déterminer les conditions de garantie de ces prêts, d’autant plus que l’influence de la Chine s’est accrue dans la région. Cependant, à l’heure actuelle, la Chine semble plus encline à adopter une démarche de partenariat vis-à-vis de ses emprunteurs souverains à long terme qui traversent des difficultés. 

Un dernier mot à ajouter ?

LS : L’évolution des politiques non conventionnelles dans les marchés émergents sera intéressante à suivre. Cela nous ramène aux jours sombres des crises de la dette des marchés émergents dans les années 1980 et 1990, mais le COVID-19 donne une nouvelle dimension à ces questions. Chaque pays apportera une réponse différente, et les situations sont fluctuantes. Les investisseurs ne pourront commencer à savoir si, et où, ces mesures politiques ont fonctionné que dans les prochains trimestres.

L’évolution des politiques non conventionnelles dans les marchés émergents sera intéressante à suivre.

AG : Les différences sont plus marquées que jamais dans l’univers de la dette émergente. Les taux de défaut et les niveaux de risque associés historiquement élevés affecteront tous les pays et toutes les sous-classes d’actifs de manière plus ou moins importante. Toutefois, il existe des poches d’opportunités, avec des indicateurs de crédit solides, et des émetteurs qui feront preuve d’une plus grande souplesse et d’une meilleure résistance face à la crise et après.  

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