Les experts d’Aviva Investors évoquent les perspectives des marchés financiers et de l’économie mondiale face aux tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine.

Les relations sino-américaines sont tendues depuis 2017

Les relations sino-américaines sont tendues depuis 2017, lorsque l’administration Trump, à peine arrivée au pouvoir, a commencé à imposer des droits de douane sur les importations chinoises, pour semble-t-il lutter contre le déséquilibre commercial entre les deux pays et riposter au vol prétendu de technologiques américaines.

Après des mois de négociations, un accord commercial provisoire (dit de « phase 1 ») a finalement été conclu en décembre 2019. Les autorités chinoises ont accepté d’apaiser quelques-unes des craintes du président Trump, en promettant notamment d’augmenter les achats de biens produits par les États-Unis et de protéger la propriété intellectuelle des entreprises américaines présentes sur leur territoire.1

Mais depuis le début de la pandémie de coronavirus, les relations entre les deux pays se sont encore dégradées. Cette crise a entraîné un affrontement rhétorique : Donald Trump a reproché à Pékin l’émergence du coronavirus en le baptisant « le virus chinois », et la Chine a quant à elle estimé que le COVID-19 était un complot des Américains.2

Le gouvernement américain a par ailleurs exprimé son soutien aux manifestants de Hong Kong et menacé de révoquer le statut spécial du territoire en représailles d'une nouvelle loi sécuritaire instaurée par Pékin. Des contrôles renforcés ont également été imposés sur les exportations du géant chinois de la technologie Huawei.3

Avec la montée du sentiment anti-chinois aux États-Unis, la situation pourrait s'aggraver avant de s'améliorer

Avec la perspective de l’élection présidentielle américaine et la montée du sentiment anti-chinois aux États-Unis4, la situation pourrait s'aggraver avant de s'améliorer. Quelles conséquences ont donc les querelles sino-américaines sur l’économie mondiale et les marchés internationaux ? Aviva Investors a réuni Harriet Ballard (HB), stratégiste senior multi-actifs et Alistair Way (AW), responsable des actions émergentes, pour évoquer les principaux risques.

Assiste-t-on à une évolution radicale de la relation entre les États-Unis et la Chine ou s’agit-il simplement d’une guerre des mots ?

HB : La principale évolution de cette relation entre avant et après la crise sanitaire, c’est que l’on ne peut plus parler de guerre commerciale. Le problème est bien plus large que cela.

Il existe divers types de tensions. Avec sa chute dans les sondages et le net ralentissement de l’économie, le président Trump a choisi de durcir son discours à l’égard de la Chine pour rallier son électorat. Cet enjeu sous-jacent explique en grande partie pourquoi la situation fait couler autant d’encre. En attribuant la responsabilité du virus à la Chine et en réclamant une enquête internationale, le président américain a déclenché une controverse.

Il faut aussi tenir compte de la relation de la Chine avec Taïwan. Le soutien américain au gouvernement taïwanais créé des tensions. Autre point chaud, la situation à Hong Kong. Les deux chambres du Congrès soutiennent les manifestants. Les Républicains et les Démocrates condamnent également d'une seule voix les violations des droits de l’Homme par la Chine, notamment les violences à l’encontre des communautés musulmanes dans les zones frontières.

Les réponses apportées au coronavirus ont suscité méfiance et réprobation

AW : Pour ma part, je pense effectivement que la relation entre les deux pays a complètement changé. Le comportement du président Trump n’est pas le seul facteur. Lorsque le coronavirus est apparu, on aurait pu espérer que les deux pays collaborent plus étroitement compte tenu de l’ampleur mondiale de la crise économique et sanitaire. Mais dès le début, méfiance et réprobation réciproques ont marqué la relation sino-américaine.

Les liens diplomatiques n’ont jamais été aussi distendus, ce qui n’arrange pas la situation. La présence d’experts sur le terrain entretenant une relation réciproque permet d’apaiser la relation, même si les dirigeants sont en désaccord. Mais cela ne semble pas être le cas actuellement.

Lors d'une année électorale, des décisions irréfléchies ne sont pas exclure. Les deux partis politiques sont favorables à des mesures drastiques à l’égard de la Chine, et les derniers sondages montrent par ailleurs que la majorité des électeurs affiche un sentiment anti-chinois. La situation va probablement devenir encore plus épineuse.

Ces tensions pourraient-elles menacer l’accord commercial provisoire conclu en janvier ?

HB : Les modalités de cet accord de « phase 1 » nous semblent toujours en place. Toutefois, le risque d’une annulation a clairement augmenté car la Chine est loin de respecter ses obligations, comme l’achat de davantage de biens produits aux États-Unis.5 Et malgré la crise du coronavirus, ces derniers ne font preuve d’aucune indulgence. Un examen à mi-année de cet accord aura lieu en août. Si la Chine continue à ne pas remplir sa part de l'accord, ce dernier pourrait faire l’objet d’un réexamen.

Quels sont les principaux risques d'investissement ?

AW :  Dans le cadre de notre sélection de valeurs, nous nous intéressons aux implications des nouvelles restrictions américaines sur les exportations à destination de Huawei ;6 les risques menaçant les dispositifs de contrôle des institutions américaines qui investissent directement dans des actions chinoises ;7 et l’augmentation des demandes d’audit des entreprises chinoises cotées aux États-Unis, comme JD.com, Alibaba et Baidu.8 Les marchés ont eu l’occasion d’anticiper ces risques, mais si la situation se détériore encore (si l’accord commercial vole en éclats et si les droits de douane sont augmentés dans divers secteurs), le risque baissier pourrait fortement se renforcer, en particulier sur les marchés actions.

Il est impossible pour le gouvernement Trump d’afficher un sentiment « anti-chinois » trop prononcé sans menacer les intérêts de son propre pays.

Nous ne prévoyons pas d’escalade dans la guerre commerciale car un tel scénario serait encore plus défavorable aux entreprises et aux consommateurs américains. Même Donald Trump devra trouver un compromis sur ce sujet en cette année électorale. Comme il est impossible pour le gouvernement Trump d’afficher un sentiment « anti-chinois » trop prononcé sans menacer les intérêts de son propre pays, la conjoncture économique semble faire office de barrière à une détérioration trop négative de la relation cette année. Mais les sujets d’inquiétude sont encore nombreux.

Par exemple, la réaction des Chinois à la situation de Huawei est différente de celle de 2018. Les représailles économiques ont été moins fortes, même si la menace de nouvelles restrictions a été adressée à certaines entreprises comme Apple.9 Les États-Unis ont surtout réagi via des manœuvres d’intimidation sur Hong Kong et Taïwan. Il ne s'agit pas seulement d'un remake de 2018 : les variables en jeu sont très différentes et la réponse au comportement des autorités chinoises est plus globale. Il ne s’agit plus d'une simple guerre économique obligeant les investisseurs à déterminer les gagnants et les perdants.

La confrontation peut-elle toucher directement l’économie ? Les États-Unis peuvent-ils par exemple annuler les 1 100 milliards de dollars qu’ils doivent à la Chine ? Les Chinois peuvent-ils se débarrasser de leurs avoirs en bons du Trésor ?

HB : Il est extrêmement peu probable que les deux pays fassent ce type de choix, même si le président Trump a déjà évoqué l’idée d’un défaut sur la dette. La vente par la Chine des obligations US qu’elle possède constituerait un choc économique colossal qui aurait des répercussions marquées sur le marché obligataire et sur le système financier mondial. Cela serait complètement contreproductif.

D’autres pays sont-ils également en train de revoir leur position vis-à-vis de la Chine ?

HB : Lors de la dernière phase de la guerre commerciale, certains pays ont essayé de prendre leurs distances avec les tensions sino-américaines, en condamnant l’augmentation des droits de douane jugée contre-productive. Toutefois, ces derniers mois, notamment en ce qui concerne Hong Kong, on observe une réaction plus forte et un soutien de la communauté internationale en faveur de la position intransigeante des États-Unis vis-à-vis de la Chine.

Fin mai, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie ont publié une déclaration commune condamnant la décision des autorités chinoises d’instaurer une nouvelle loi sécuritaire, qui est en totale opposition avec la déclaration sino-britannique enregistrée auprès des Nations unies, qui avait permis le retour du territoire sous la tutelle de la Chine. Une telle réponse commune à l’échelle mondiale n’avait pas été observée pendant la précédente guerre des mots sur les aspects commerciaux. Ce type d’initiative pourrait inciter le président Trump à poursuivre sa politique anti-chinoise.

Le résultat de l’élection présidentielle américaine peut-il changer la donne ?

HB : Si Joe Biden l’emporte, les Démocrates passeraient certainement par la voie de l’action multilatérale, en recherchant le soutien de la communauté internationale afin d’obtenir une vraie capacité d’influence sur la Chine. À long terme, une telle démarche aurait des conséquences économiques bien plus importantes sur la Chine que les droits de douane imposés par les deux chambres du Congrès jusqu’à maintenant.

Qu’en est-il des pays émergents de plus petite taille ? Devront-ils choisir un camp ?

AW : La plupart des pays hésiteront à prendre parti, car les désavantages d'une relation négative prendront toujours le dessus sur les bénéfices d'une alliance solide. Un pays comme Taïwan se retrouve dans une position difficile liée à la place centrale de ses entreprises dans les chaînes d'approvisionnement technologiques chinoises et américaines. Le fabricant de puces taïwanais et fournisseur de Huawei, TSMC, a récemment annoncé un investissement massif aux États-Unis, peut-être pour éviter des sanctions10.

Selon moi, les avantages d’une stratégie consistant à s’aligner sur les États-Unis et à s’aliéner la Chine ne sont pas clairs.

À plus court terme, il est probablement plus confortable de s’accommoder de la rhétorique américaine étant donné le caractère imprévisible du président américain. Mais à plus long terme, les pays et les entreprises devront mettre cela en parallèle avec l'énorme importance économique de la Chine. Est-il judicieux, à long terme, de prendre parti pour les États-Unis ? Pour l’essentiel des pays, les avantages d’une stratégie consistant à s’aligner sur les États-Unis et à s’aliéner la Chine ne sont pas clairs.

Prenons l’exemple de Huawei. Le Premier ministre britannique Boris Johnson hésiterait désormais à recourir aux services de Huawei pour les infrastructures de télécommunications 5G du pays. Le Royaume-Uni est pourtant conscient depuis longtemps des risques potentiels en matière de sécurité et avait déjà décidé de se rapprocher de Huawei malgré les critiques américaines11. Les équipements de Huawei sont de meilleure qualité - et bien moins chers - que ceux de Nokia, d'Ericsson et de Samsung. Il serait difficile d’interrompre la relation avec la Chine sans que cela n'entraîne des problèmes importants au niveau des chaînes d'approvisionnement et des prix.

Comment la situation pourrait-elle évoluer à Hong Kong ? L’accès des investisseurs étrangers aux marchés domestiques peut-il être menacé en cas de révocation de l’autonomie du territoire ?

HB : Les États-Unis ont récemment déclaré qu'ils ne considéraient plus Hong Kong comme un territoire autonome. Cependant, les conséquences politiques de cette déclaration restent entre les mains du président. Les avantages historiques liés à l’autonomie ne sont pas automatiquement supprimés. Le scénario le plus probable serait des sanctions ciblées contre des personnes et des entités, en particulier contre les entreprises participant à l'application de la loi et au dispositif de surveillance à Hong Kong.

Si les États-Unis révoquaient complètement le traité et les conditions dont bénéficie Hong Kong du fait de son statut autonome, ils seraient soumis aux mêmes règles tarifaires que la Chine. D'un point de vue économique, l'impact de cette situation n'est pas très prononcé car l’activité manufacturière est très limitée à Hong Kong. Une telle mesure constituerait un signal politique envoyé à la Chine, plutôt qu'un choc économique pour Hong Kong. Il est peu probable que la déclaration de M. Trump modifie sensiblement la position du territoire en tant que plaque tournante pour les exportations ou, à court terme, comme point d'accès financier aux marchés de Chine continentale. Cela dit, à plus long terme, l'influence accrue de la Chine sur Hong Kong pourrait affaiblir l’attractivité du territoire autonome en tant que centre d'affaires.

A long terme, Hong Kong pourrait bénéficier sur le plan économique des tensions entre les États-Unis et la Chine

AW : Hong Kong occupe une place très particulière pour accéder à l’économie et aux marchés chinois. Compte tenu du nombre d’entreprises américaines basées à Hong Kong, il serait très difficile de modifier le statut du territoire sans leur porter un préjudice important.

A long terme, Hong Kong pourrait bénéficier sur le plan économique des tensions sino-américaines si les entreprises de Chine continentale sont obligées de quitter les bourses américaines et de transférer la cotation de leurs titres à Hong Kong. La radiation forcée d'une grande partie des actions chinoises du Nasdaq et leur transfert vers Hong Kong entraînerait une forte augmentation des volumes de transactions à Bourse de Hong Kong. Cela déplacerait le centre de gravité des investissements sur les marchés émergents à un niveau beaucoup plus local. Mais étant donné la fragilité actuelle de Hong Kong, la situation pourrait rapidement évoluer.

Comment les investisseurs peuvent-ils faire en sorte que leurs portefeuilles restent résilients dans cet environnement incertain ?

AW : Nous cherchons avant tout à protéger les actifs de nos clients en nous adaptant à l’actualité et en tenant compte des conséquences sur les chaînes d'approvisionnement du secteur technologique. Dans cet environnement difficile, les investisseurs voudront s'exposer à des entreprises susceptibles de bien se comporter malgré une détérioration des relations commerciales.

Il leur faudra également surveiller la situation de Huawei. Les sanctions ciblées contre la société ne sont probablement pas assez impactantes pour pénaliser l'ensemble des marchés mondiaux, et ce pour deux raisons : Huawei n'est pas une société cotée en bourse et l'impact est infime par rapport à la destruction globale de la demande causée par la pandémie. Il s’agit néanmoins de l’actualité la plus récente d'une montée en puissance constante des tensions. Je ne pense pas que les risques potentiels associés à cette situation soient actuellement intégrés dans les prix de marché.

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