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L’ère des catastrophes écologiques

Nature et négligence : l’ère des catastrophes écologiques

Tandis que la fréquence et la violence des catastrophes naturelles augmentent, AIQ, dans cette cinquième partie de notre mini-série consacrée aux origines de la prochaine crise, en examine les conséquences en termes économiques et d’investissement, ainsi que les leçons que nous pouvons tirer des erreurs du passé.

Bien que le Covid-19 continue de faire les gros titres, il n’est en aucun cas un exemple isolé de la fragilité croissante de nos rapports avec le monde naturel. En effet, l’année a également été marquée par de graves incendies en Australie, des inondations au Royaume-Uni et en Ouganda, ainsi que par des sécheresses dans l’ouest des États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Enfin, la saison des ouragans devrait encore aggraver ce bilan.

Le changement climatique et la dégradation de l’environnement augmentent la fréquence et la gravité des catastrophes naturelles. Selon le Rapport sur les risques mondiaux 20201 du Forum économique mondial (FEM), les cinq principaux risques sont tous en rapport avec l’environnement et trois concernent les catastrophes environnementales et les conditions climatiques extrêmes.

À la lumière de l’actualité récente, où un problème de santé, qui dans un premier temps était localisé, s’est rapidement transformé en une crise sanitaire et économique mondiale, il semble légitime de se demander si c'est une catastrophe naturelle qui pourrait constituer la plus grande menace pour l’humanité. 

Une abondance de menaces écologiques

Selon Robert Glasser, ancien chef du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe et expert invité de l’Institut australien de politique stratégique, il existe deux grands facteurs qui augmentent le risque de catastrophes naturelles.

Le premier facteur, selon lui, est que les investissements dans les infrastructures et le développement économique sont entrepris sans tenir compte du risque de catastrophe : « Les investissements tiennent tellement peu compte des risques qu’il n’est pas surprenant de voir davantage d’infrastructures détruites et les coûts financiers du risque de catastrophe augmenter. »

Les investissements dans les infrastructures et le développement économique sont entrepris sans tenir compte du risque de catastrophe

Le second facteur est le changement climatique, dont les effets commencent tout juste à devenir perceptibles. « Le changement climatique augmente la fréquence et la violence de nombreux dangers. Les investissements en infrastructures doivent tenir compte non seulement des risques liés aux dangers connus, mais aussi de la manière dont le changement climatique fait évoluer les risques. Si on prend l’exemple de Harvey aux États-Unis, on constate que près de la moitié des maisons détruites par cet ouragan se trouvaient en dehors de la zone à risque des 500 dernières années. »

Ed Dixon, responsable environnement, social et gouvernance (ESG) pour les actifs réels chez Aviva Investors, convient que si le risque climatique était autrefois perçu comme un problème lointain, il s’est désormais transformé en risque immédiat. Selon lui, le secteur se rend désormais compte de la nécessité d’évaluer les risques climatiques, tant pour les entreprises et les actifs existants que pour les nouveaux investissements.

Les pertes de biodiversité et la surexploitation des ressources naturelles affaiblissent davantage les capacités de résistance aux chocs et de régénération des écosystèmes. Comme l’explique l’étude britannique « Dasgupta Review on the Economics of Biodiversity » : « De la même façon que la diversification des actifs financiers dans un portefeuille permet de réduire le risque et l’incertitude, la diversité d’un portefeuille d’actifs naturels - la biodiversité - augmente directement et indirectement la capacité de résistance de la Nature aux chocs, réduisant ainsi les risques encourus par les services dont nous dépendons. Mais la résilience de la Nature s’érode gravement et la biodiversité se dégrade plus rapidement que jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Le rythme d’extinction actuel est environ 100 à 1 000 fois plus élevé que la moyenne des derniers millions d’années - et il s’accélère ».2

Points de non-retour et voyage au pays de l'inattendu*(référence à l'auteur Roal Dahl)

L’aspect le plus dangereux de l’augmentation des risques est peut-être le fait que, à mesure que les interférences humaines se multiplient et que les catastrophes se font plus fréquentes, elles commencent à s’aggraver entraînant des conséquences imprévisibles et impossibles à maîtriser. Rick Stathers, expert en changement climatique et analyste ESG senior chez Aviva Investors, donne l’exemple des interactions entre composants chimiques de l’environnement qui créent des « cocktails » chimiques capables d’amplifier leur effet sur les plantes, les animaux et les humains.

Dans les cas les plus graves, les catastrophes simultanées et consécutives créent une réaction en chaîne dont les conséquences sont planétaires. Considérons la crise de la sécurité alimentaire de 2010-2011. Les impacts combinés des sécheresses et incendies en Russie, en Ukraine et dans certaines régions de Chine, ainsi que des inondations au Canada et en Australie, ont détruit les récoltes de blé. Cela amena certains pays à constituer des réserves de blé, provoquant une hausse du prix des denrées alimentaires, qui entraîna des émeutes de la faim dans certaines régions d’Afrique du Nord et contribua à faire naître le Printemps arabe. 

Graphique 1 : Relations entre les principaux risques mondiaux en 2020 
Links between the top global risks in 2020
Source : Rapport sur les risques mondiaux 2020, Forum économique mondial.

Outre l’augmentation de la fréquence et de la gravité des risques, leurs caractéristiques évoluent, avec l’apparition de risques dans des régions qui n’étaient pas touchées auparavant. « En Australie, certaines études scientifiques récentes suggèrent qu’avec le réchauffement climatique, les cyclones pourraient se déplacer plus au sud vers de nouvelles régions du pays, dont la Gold Coast, une importante zone touristique dont les immeubles de grande hauteur n’ont pas été conçus pour résister à des cyclones violents. » Robert Glasser.

La surconsommation des ressources contribue non seulement à la multiplication des catastrophes naturelles, mais aussi au risque que celles-ci se transforment en catastrophes planétaires. Ces risques sont d’ailleurs liés. Ainsi, le risque de pandémie s’intensifie à mesure que les humains repoussent leurs limites naturelles, tandis que la déforestation rapide accélère le réchauffement climatique et détruit l’habitat de la faune sauvage.3

Le changement climatique, par exemple, pourrait entraîner la planète vers plusieurs points de non-retour, chacun survenant à des niveaux de réchauffement différents. Ces points de non-retour correspondent au passage d’un écosystème d’un équilibre à un autre, cette modification étant irréversible. Selon le FEM, le franchissement d’un de ces points de non-retour pourrait augmenter le risque d’en franchir d’autres et tous sont de plus en plus menacés de changements brusques et irréversibles.4

La surconsommation des ressources contribue à la multiplication des catastrophes naturelles, et au risque que celles-ci se transforment en catastrophes planétaires.
Graphique 2 : Les neuf points de non-retour
The nine tipping points
Source : Timothy M. Lenton et al., Nature, 9 avril 2020.

La forêt amazonienne est un exemple de boucle de rétroaction provoquant une évolution radicale. Selon Rick Stathers « Si nous perdions 20 % de la forêt amazonienne - et nous en avons déjà perdu 17 % - elle pourrait se transformer de forêt tropicale en savane. Cela aurait des répercussions considérables dans la mesure où elle constitue un énorme puits de carbone, dont le carbone serait libéré, entraînant un plus grand réchauffement et provoquant le changement d’autres écosystèmes. »

Un autre exemple de boucle de rétroaction négative concerne les récifs coralliens qui, en cas de réchauffement de 1,5 degré, mourront pour la plupart. Or ces récifs constituent des zones d’alevinage pour peut-être dix pour cent des espèces de poissons de la planète, dont la disparition épuiserait les réserves alimentaires tropicales. En outre, la disparition des récifs coralliens entraînera celle de la protection contre les ondes de tempête qu’ils offrent aux zones côtières, exposant ainsi des millions de personnes à des conditions météorologiques plus extrêmes.

Selon le Cambridge Global Risk Index de 2019, les catastrophes naturelles constituent la plus grande menace pour le produit intérieur brut (PIB), avec 174 milliards de dollars menacés, soit 30 % du total. Les tempêtes tropicales constituent le troisième risque le plus important, avec 66 milliards de dollars menacés, soit 11 % du risque total.5 Bien que ces estimations n’envisagent pas le franchissement de points de non-retour, dont les répercussions sont difficiles à modéliser, elles suffisent à souligner la nécessité d’agir de toute urgence. 

Risques et opportunités

Selon Robert Glasser, la première étape pour s’adapter à cette situation est de comprendre les risques, tant d’un point de vue historique que de l’impact actuel et futur du changement climatique. La deuxième étape consiste à intégrer cette compréhension des risques dans les nouveaux investissements, mais aussi dans les investissements déjà réalisés, afin de réduire leur exposition et leur vulnérabilité aux risques que le changement climatique amplifie.

Les responsables politiques et les chefs d’entreprise vont devoir prendre des mesures d’adaptation et d’atténuation, évaluer le risque climatique, s’adapter aux risques déjà existants et assurer la transition vers une économie à faible émission de carbone. Les entreprises sont déjà soumises à une pression croissante, bien que seul un petit nombre d’entre elles semblent agir de manière résolue. Pour Rick Stathers cette situation s’explique par l’obsession de la rentabilité à court terme, qui limite la capacité des entreprises à investir dans la recherche et le développement, la résilience et l’adaptation - ce qui sape collectivement leur capacité de gestion des risques. « Dans le secteur de l’aviation, 90 % des flux de trésorerie disponibles au cours de la dernière décennie ont été consacrés à des programmes de rachat d’actions et rien n’a été dépensé pour renforcer la résilience. »

L’autre défi est l’incapacité à modéliser et à évaluer les externalités, qui ne sont toujours pas prises en compte dans les bilans des entreprises et les prévisions économiques. « Les entreprises les considèrent comme des externalités parce qu’elles ne savent pas comment les modéliser. Les externalités sont le changement climatique, la rareté de l’eau et la perte de biodiversité. » Rick Stathers.

Pour Françoise Cespedes, gérante de portefeuilles actions chez Aviva Investors « L’utilisation des données du CDP permet de mesurer la capacité des entreprises à faire face au changement climatique. Le CDP fournit des données relatives aux indicateurs de durabilité et évalue les entreprises et leurs stratégies de lutte contre le changement climatique en fonction du risque auquel elles sont exposées dans le cadre de leurs activités. » Elle soutient également que, dans la mesure où le changement climatique est en cours et que les températures vont continuer à augmenter, certaines niches ou marchés devraient en bénéficier, en particulier ceux qui aident les entreprises et les particuliers à faire face aux conséquences du réchauffement.

Il reste encore beaucoup à faire en termes d’intégration des risques de catastrophes dans les valorisations. Robert Glasser estime cependant que le secteur privé, en particulier le secteur financier, progresse plus rapidement que les gouvernements. Selon lui, « ces catastrophes étant plus fréquentes et leurs conséquences de plus en plus importantes, les autorités de réglementation des entreprises vont commencer à exiger qu’elles communiquent sur leur exposition aux risques climatiques et sur les mesures qu’elles prennent pour y faire face. À terme, cela entraînera la mobilisation de centaines de milliards de dollars en faveur d’infrastructures plus résilientes. L’ensemble du système sera transformé, car les propriétaires d’actifs voudront s’assurer de disposer d’une offre résiliente face aux risques climatiques et aux risques de catastrophes pour attirer les investisseurs. »

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Références

  1. « Rapport sur les risques mondiaux 2020 », Forum économique mondial, janvier 2020. http://reports.weforum.org/global-risks-report-2020/
  2. Partha Dasgupta et al., « The Dasgupta Review - Independent Review on the Economics of Biodiversity Interim Report », étude commandée par le ministère des Finances britannique, avril 2020. https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/882222/The_Economics_of_Biodiversity_The_Dasgupta_Review_Interim_Report.pdf
  3. Johan Rockström et Ottmar Edenhofer, « The Global Resilience Imperative », Project Syndicate, 7 mai 2020. https://www.project-syndicate.org/commentary/building-resilience-to-health-climate-biodiversity-risks-by-johan-rockstrom-and-ottmar-edenhofer-2020-05
  4. Rosamund Hutt, « 9 climate tipping points pushing Earth to the point of no return », Forum économique mondial, 5 décembre 2019. https://www.weforum.org/agenda/2019/12/climate-change-tipping-points-earth/
  5. « Cambridge Global Risk Index 2019 : Executive Summary », Université de Cambridge, Judge Business School, 2019. https://www.jbs.cam.ac.uk/faculty-research/centres/risk/publications/managing-multi-threat/cambridge-global-risk-index/cambridge-global-risk-index-2019-executive-summary/
  6. Main photograph courtesy of The World Meteorological Organization (WMO)

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