Alors que l’inflation devrait repartir à la hausse après les plus bas atteints l’année dernière, ce regain sera probablement transitoire. Sunil Krishnan nous livre son analyse sur les répercussions pour l’économie, les courbes de taux et les marchés d’actions.
Malgré quelques difficultés en Europe, nous restons convaincus que les déploiements des vaccins permettront à la plupart des pays développés de relancer leur économie à moyen terme. En conséquence, nous tablons sur une résurgence de l’inflation américaine à court terme en raison d’effets de base par rapport à 2020.
Si l’on observe l’inflation en glissement annuel, nous arrivons bientôt au niveau de comparaison de l’inflation au point bas de 2020, lorsque l’économie mondiale était plongée dans une profonde récession. Du fait de cette base de comparaison, l’inflation en glissement annuel semblera automatiquement élevée, non seulement en termes d’inflation globale, y compris les cours de l’énergie, mais également d’inflation sous-jacente.
Nous tablons sur une hausse de l’inflation américaine à court terme en raison d’effets de base par rapport à 2020
Aux États-Unis, par exemple, la Réserve fédérale (Fed) s’est fixée un objectif à long terme de 2 % pour l’indice core PCE (indice d’inflation sous-jacente des dépenses de consommation des ménages), qui constitue l’une de ses métriques de prédilection pour mesurer l’inflation. L’indice core PCE devrait largement dépasser son objectif pendant au moins un mois ou deux. Cependant, nous ne pensons pas que les chiffres de l’inflation se maintiendront à ces niveaux au second semestre 2021 et permettront de dissiper certaines inquiétudes récentes du marché liées à ce pic de l’inflation.
Un indicateur en particulier permettrait de vérifier si l’inflation s’installe durablement, à savoir le marché immobilier, qui représente une part importante du calcul de l’inflation aux États-Unis (notamment pour mesurer le coût lié au statut de propriétaire). Bien que nous surveillions ce chiffre de près, la résilience du marché immobilier américain n’a pas engendré une hausse significative des prix jusqu’à présent.
Graphique 1 : L’inflation pourrait accélérer à court terme (%)
Le retour de l’inflation est donc susceptible d’être seulement temporaire, une opinion que la Fed a soutenue dans sa dernière déclaration lorsqu’elle a affirmé qu’elle ne tiendrait pas compte des pressions inflationnistes transitoires comme une raison suffisante pour relever les taux d’intérêt, arguant notamment qu’elle vise une inflation légèrement supérieure à 2 % pendant un certain temps1.
De temps à autre, les investisseurs douteront de l’engagement de la Fed à maintenir une politique accommodante
Compte tenu de cette évolution significative dans sa politique, qui fait suite à la revue stratégique engagée en 2020, la Fed essaie de rassurer sur les craintes de durcissement à court terme. Par exemple, les projections de hausse des taux d’intérêts de différents membres de la Fed, montrent que seule une minorité entrevoit une hausse en 2022, alors qu’un plus grand nombre table sur 2023.2
De temps à autre, les investisseurs continueront de douter de l’engagement de la Fed à laisser sa politique inchangée, même si l’économie semble repartir sur une base solide. Cela dit, la Fed affiche clairement son intention de maintenir ses taux bas pendant encore bien longtemps. In fine, cette stratégie permettra de soutenir le marché obligataire, ainsi que l’économie réelle grâce au maintien de conditions de financement accommodantes, ce qui profitera aux sociétés cotées.
Pentification de la courbe
La Fed n’exclut toutefois pas l’éventualité d’une hausse des rendements obligataires américains à plus longue échéance. La déclaration des membres du FOMC (Federal Open Market Committee) au mois de mars s’est immédiatement traduite par une pentification forte de la courbe des taux américains. Alors que les taux jusqu’à cinq ans ont à peine augmenté, les taux à 10 ans et 30 ans ont connu une hausse bien plus significative.
Graphique 2 : La courbe des taux US s’est pentifiée
Une telle évolution est cohérente avec la stratégie de la Fed, qui considère qu’une courbe de taux en pente ascendante est le signe de conditions de financement et d’un appétit pour le risque plus normaux, dans la mesure où elle reflète (en théorie) une amélioration de la conjoncture économique. Il est donc plausible que la hausse des taux se poursuive à long terme. Les rendements à cinq ans pourraient même augmenter si l’économie se rétablit suffisamment pour raviver les doutes sur l’engagement de la Fed à maintenir les taux d’intérêt à un niveau aussi faible.
Les obligations souveraines pourraient en profiter, mais la hausse des marchés du crédit resterait limitée
Bien que cette éventualité présente des risques à court terme pour les taux, elle n’augure pas pour autant un effondrement du marché obligataire. Le marché obligataire américain présente également un portage de plus en plus attrayant pour les investisseurs non américains par rapport à leurs marchés nationaux, ce qui devrait limiter les risques baissiers.
Alors que les bons du Trésor devraient progressivement retrouver un certain attrait, nous restons neutres sur les obligations d’État
En conséquence, nous estimons que les taux devraient progressivement retrouver un certain attrait et ainsi offrir à la fois un potentiel de valeur et de diversification à nos portefeuilles. Jusqu’alors, nous conservons une opinion neutre sur les obligations d’État.
En revanche, la volatilité accrue de la duration des taux d’intérêt rend le profil risque-rendement du marché du crédit moins attrayant, d’autant que les spreads de crédit restent proches de niveaux historiquement bas. Outre le risque d’élargissement des spreads de crédit si la reprise économique n’est pas celle escomptée, une volatilité plus élevée reflète le risque d’un effondrement continu de la duration. En conséquence, après avoir occupé une part importante de nos allocations pendant l’été et au deuxième semestre 2020, le crédit est désormais légèrement sous-pondéré, le potentiel de hausse semblant limité.
Graphique 3 : Les spreads de crédit sont historiquement faibles
La volatilité affecte également l’attrait de la dette des marchés émergents en devise locale à deux égards.
Premièrement, la duration a largement contribué à la performance totale de la classe d’actifs depuis le début de l’année, ce qui est tout à fait inhabituel. La dette des marchés émergents en devise locale ayant une duration relativement courte (généralement quatre ou cinq ans), les fluctuations des devises locales contribuent généralement le plus à la performance totale. Mais compte tenu de la volatilité de la duration, cette dernière est devenue le principal catalyseur. Cette particularité est loin d’être positive pour la classe d’actifs, et bien qu’un cycle de hausse des taux ait débuté sur certains marchés émergents comme le Brésil, la Turquie et la Russie, il reste du chemin à parcourir avant que le portage ne présente un réel intérêt.
Graphique 4 : La baisse des marchés obligataires a été un frein pour les marchés émergents
Deuxièmement, la hausse des taux d’intérêt à plus long terme sur le marché obligataire est légèrement favorable au dollar américain. Il est donc moins intéressant d’avoir une exposition importante au risque sur les devises des marchés émergents, dont la performance est souvent corrélée négativement au dollar américain.
Les importantes dépenses et l’abondance de liquidités favorisent les actions
En ce qui concerne les actions, bien que l’éventualité d’une hausse des rendements puisse menacer certaines poches à forte valorisation, nous ne pensons pas qu’elle aura un impact sur le marché mondial dans sa globalité. Nous conservons donc notre surpondération à moyen terme. Contrairement aux années qui ont suivi la crise financière mondiale, les politiques sont gérées de manière très différente, avec un soutien budgétaire plus important. Cette stratégie budgétaire place les actions dans une position plus favorable, sur le marché dans son ensemble mais également dans des secteurs spécifiques.
Les infrastructures ont été le point de mire du dernier plan de relance
Le secteur industriel, par exemple, bénéficie généralement le plus d’une forte demande du secteur privé (soutenue par des taux d’intérêt bas) associée à un plan de relance budgétaire, ce qui pourrait se produire en 2021 et en 2022. Bien que les dépenses en infrastructure n’aient pas figuré dans le premier plan de relance de l’administration Biden, elles constituent le point de mire de son dernier plan3. Nous avons également observé de légères améliorations dans les intentions d’investissement des entreprises. En outre, le potentiel de croissance ne se reflète pas encore dans les valorisations.
Graphique 5 : Enquêtes régionales sur les dépenses en capital de la Fed aux États-Unis
D’un point de vue géographique, nous maintenons notre préférence pour les marchés d’actions aux États-Unis et au Royaume-Uni. Les perspectives des marchés émergents nous semblent, quant à elles, préoccupantes. Alors qu’ils bénéficiaient de la plus forte dynamique en termes de bénéfices au second semestre 2020, les marchés émergents sont finalement revenus dans le peloton4. Cette tendance s’explique probablement par le fait que la Chine – et les économies qui en dépendent – a été le premier pays à entamer sa reprise, qui pourrait maintenant atteindre son plateau, tandis que d’autres économies comme les États-Unis et le Royaume-Uni la rattrapent.
Plusieurs grandes entreprises chinoises sont prises entre deux feux politiques, à savoir Xi Jinping et Joe Biden
Certaines grandes entreprises chinoises sont également prises entre deux feux, à savoir Xi Jinping et Joe Biden. Les actionnaires minoritaires pourraient bien être relégués en bas de la liste des priorités de ces entreprises confrontées à des défis majeurs, ce qui confirme notre choix d’une légère sous-pondération des actions des marchés émergents.
Les conditions actuelles offrent plus de visibilité sur le marché des actions que sur les taux ou le crédit. Par conséquent, une part importante du risque de notre portefeuille se situe désormais dans la poche actions, tant dans en termes absolus que relatifs. Il s’agit d’un changement significatif par rapport à 2020.